Les librairies Agenda Coups de coeur
10 mars 2015

Une vengeance dévastatrice dans la chaleur de Belèm

Quelques jours à peine vont suffire à cette explosion de violence folle. C'est un sprint et les phrases courtes et imagées de Edyr Augusto rythment parfaitement ce tsunami tout en décrivant minutieusement, sans fard, chaque protagoniste. Une écriture comme une caméra embarquée, incisive, inquisitrice, qui saisit chaque frémissement mais aussi chaque pensée des différents acteurs. Un page-turner, vif, dur, haletant, alternant séquences du passé et actions du présent, sans pitié ni pause. La première ligne passée, aucun retour en arrière n'est possible, la bombe est enclenchée. Le machiavélisme de Isabela va loin, il transcende la personne de son tortionnaire, il est à l'image de sa souffrance infini.

Une tragédie dans la moiteur torride des villes amazoniennes, elle balaiera tout et tous sur l'échiquier, les pions comme les pièces maitresses, et la partie, on le sait, recommencera avec d'autres joueurs. Est ce un polar ? Difficile à dire, il n'y a pas d'autorités. L'état est gangréné, la police achetée, les médias aux ordres du gouverneur. Une crise clastique plutôt, au sein d'une communauté où certains ont dépassé les frontières de la terreur, ne pouvant plus se définir, comme Isabela, que par leur haine ou, comme Valdomiro Cardoso, par l'envie d'exister.

Le Para décrit par l'auteur n'est pas un état de droit, c'est une féodalité dans laquelle le seigneur en place fait bénéficier quelques uns de (faibles) largesses qui lui assurent leur fidélité et a droit de vie et de mort sur l'ensemble d'une population plus occupée à survivre et à éviter de se faire remarquer. Encore un Far West mais loin d'Avaler du sable d'un autre brésilien, plus proche, et sur le même sujet, de Petite Louve de Marie Van Moere. La vendetta pure, la vengeance cataclysmique pour atomiser une douleur et les personnages qui la représentent. Tout cela ne peut pas finir que dans encore plus de douleur et de sang, dans l’annihilation. Un duel Wlamir.Isabela, c'est entre eux que cela se joue mais les balles perdues vont faire bien de dégâts.

Un roman noir pétri de qualité, un style qui synchrone qui plonge immédiatement le lecteur dans le vif du sujet et ne relâche plus la pression jusqu'au bouquet final. Un voyage terrible dans le nord du Brésil, dans la noirceur des personnages et dans l'impasse de la violence absolue. Le Brésil n'est décidément pas que le foot et la samba, il est grand temps de découvrir la richesse de ce pays-continent entre XXIème siècle et pratiques ancestrales.

Suite de la chronique et musique du livre sur Quatre Sans Quatre (http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-nid-de-viperes-de-edyr-augusto-1425639464)


9 mars 2015

Tornade vengeresse au Cap

Roger Smith quitte cette fois quelque peu les Flats, bidonville effroyable du Cap, théâtre d'une bonne partie de son œuvre. Pas longtemps. Il y revient rapidement au cours de ce thriller implacable où toute l'image parfaite de la première page va voler petit à petit en éclat avec une sauvagerie qui n'a rien à envier à ses précédents opus.

Une famille « idéale » dans un cadre magnifique, une domestique et ses enfants quasiment adoptés, éduqués, le beau décor de conte de fée de la nation arc-en-ciel, de la réconciliation nationale et de nouveau départ vers un avenir radieux est planté. Oui mais voilà, ça ne tient pas, au premier vent violent, le noir redevient le coupable et le blanc la victime. Les mauvaises habitudes ont la peau dure et la nature humaine ne se laisse pas mystifiée par les discours.

Sous ses dehors bienveillant, la famille Lane comprend une Beverley arriviste, calculatrice, une salope botoxée capable de tout pour protéger son fils comme elle l'a fait, vingt ans plus tôt, pour son mari dont le passé comporte une tache indélébile. Un passé qui le condamne au silence face aux manœuvres vraiment ignobles de son épouse pragmatique et cynique. Mike est un lâche, un intello falot qui vit dans un monde rêvé, la vieille librairie fondée par son père, tandis que Beverley gagne une fortune dans l'immobilier.

Le crime de Chris commis, plus rien ne pourra jamais plus être comme avant, plus rien ne tient. Smith nous entraîne à la suite de Louise dans une démolition minutieuse, totale de l'univers des Lane. Pour une fois dans son œuvre, ce n'est pas la misère et l'absence d'éducation qui pilote les désastres, ce sont les faiblesses des humains, leur volonté farouche de préserver l'existant et le mépris de toute empathie. Un fils ou un frère noir ne vaut pas un héritier blanc. Réconciliation nationale ou pas, cette vérité est absolue pour Beverley et l'équation du drame ne peut se résoudre que dans le sang.

Encore un magnifique thriller de Roger Smith, si possible encore un peu plus noir que les précédents peut-être, la tragédie y a moins d'excuses, mais aussi sauvage que Le piège de Vernon qui était déjà particulièrement sombre. L'alternance entre le lent glissement de Louise dans sa peau de vengeresse et la décrépitude de Mike bouffé par les remords et sa lâcheté en de courts chapitres permet de suivre tous les aspects du récit, de ne pas en perdre une miette, car les miettes comptent aussi, ces petits riens qui font basculer une décision de possible en irrévocable...

Un roman dur, comme toujours chez Roger Smith, efficace, implacable, qui élargit encore un peu plus sa réflexion sur la violence, servit par une celle écriture sans fioriture, précise comme un rasoir. Un an dans la vie de Mike Lane et Louise Solomons, d'un Noël pathétique à l'autre, dans la chaleur de l'été sud-africains, sur les chemins du délitement des vies...

La suite de la chronique et la musique du livre sur Quatre Sans Quatre
http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-pieges-et-sacrifices-de-roger-smith-1425811024


9 mars 2015

Adamsberg enfin de retour et Fred Vargas aussi

Pour Fred Vargas, au commencement doit être le verbe. Enfin le verbe, entendons-nous, les verbes, les substantifs, les adjectifs, attributs, adverbes et toute la panoplie des mots possibles. Cet ensemble sémantique qui vient construire et habiller l'idée ou les idées qui la hantent et l'obligent à se lancer une fois de plus dans les sentiers obscurs des aventures de son commissaire Adamsberg.

Pour Adamsberg, au commencement, c'est le signe qui compte. Ce peut être un cercle bleu, une morsure de loup gigantesque, un os dans une déjection canine, un 4 à l'envers, une chaussure avec un pied dedans, un trident ou, comme dans ces Temps Glaciaires, un H mal foutu affublé d'un gribouillis convexe. Hiéroglyphe, lettre cyrillique, idéogramme ou symbole sectaire farfelu ? Danglard est là pour éclairer ou pas, mettre son érudition en marche, et, le lumineux Lucio pour nommer l'araignée qui gratte ou le chemin ignoré. Chacun sa place, Adamsberg, c'est le repèreur de signe abscons qui font les grandes enquêtes et les belles énigmes.

Fred Vargas, en bonne archéologue, exhume les mots des profondeurs du champ lexical, les libère de la gangue de sens accumulée par le temps ou l'usage commun, les bichonne et leurs trouve habilement une place choisie qui va faire sens dans une histoire de Robespierre et d'Islande qui, a priori, n'en a aucun. Elle sculpte un monde où chaque détail a sa vie propre, un monde qui n'est pas le reflet de la réalité, un monde original et unique qui nous aspire, substituant son imaginaire à notre réel. Le personnage le plus insignifiant y a sa description précise et nette, il s'anime, même mort depuis plus de deux siècles ou aussi improbable qu'un monstre islandais.

Temps Glaciaires est encore un roman rare, exceptionnel même. De ceux que j'appelle une confiserie, domaine du plaisir pur. Quatre ans sans nouvelles et paf ! Adamsberg, de son pas indolent revient et l'on replonge immédiatement sans pouvoir lui en vouloir une seconde de cette absence. De toute façon, il n'en aurait réellement rien à faire de nos états d'âme alors à quoi bon récriminer ?

Le charme n'est pas rompu, il opère comme toujours. Vargas, seule, peut nous passionner pour un démon islandais intervenant dans une histoire de députés révolutionnaires avec des témoins qui tournent leurs pensées sept fois - et pas une de plus – dans leurs têtes. Poétique, absurde, étonnant, désarmant, ce roman est tout cela à la fois et ne répond heureusement à aucune étiquette.

Entrez sans aucune hésitation dans ce roman, sans référence, sans préconçu ni préjugé. Il faut, pour que le sortilège agisse, juste suivre attentivement les déambulations d'Adamsberg et se laisser griser par la magie des mots.

Suite de la chronique sur Quatre Sans Quatre
http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-temps-glaciaire-de-fred-vargas-1425920387


5 mars 2015

Un polar atypique et très sympathique

Ce petit roman noir est un régal. Drôle, intelligent, truculent, il nous fait visiter une Naples inconnue, celle des bassi, ces petits appartements semi-enterrés, les souterrains qui parcourent toute la cité, les règles, non écrites, qui permettent de survivre en se taisant quand c'est nécessaire alors que l'on braillait à pleins poumons deux secondes auparavant. Une science qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience de celui qui a vécu dans les quartiers espagnols toute sa vie.

Ce livre respire la bienveillance, la tendresse envers le peuple agité des ruelles, ses codes, sa curiosité parfois encombrante et ses silences qui augmentent la difficulté de toute enquête. Mêlé à l'énigme du décès de cet ours, les questions existentielles de Perduto sur son frustrant travail de pigiste, les incessantes incitations de sa mère à lui donner de petits-enfants, et, surtout, sa relation avec Marinella agrémente le récit sans gêner la progression de l'intrigue, la pimentant, incarnant chaque personnage. Marinella, l'amie de toujours, celle qui a tout partagé, ou presque, avec Tony, et c'est ce presque qui pose problème. .

Au fil de l'histoire, de visites acrobatiques au zoo en confidences extirpées, d'exploration de la ville en rencontres surprenantes, Perduto va autant se découvrir qu'avancer dans son enquête et dans sa vie. Passant de la Naples tapageuse à la Naples dérobée, il fera également le tour de ses envies, un bilan de sa vie et se découvrira autant qu'il nous fait découvrir les quartiers espagnols de sa ville.

Un polar bon enfant, très bien écrit, nerveux, excessif dans les comparaisons comme on imagine les napolitains, donc impeccablement traduit également. Ce livre est plaisant et pittoresque. Une atmosphère hautement méditerranéenne de linge qui sèche en travers des ruelles et de mammas castratrices s'apostrophant d'une fenêtre à l'autre par-dessus d'innombrables gamins pour la partie « aérienne » de l'histoire, plus sordide, inquiétante, lourde pour la face cachée de Naples, bref, un parfait équilibre.

Un franc sourire de plaisir à la fin de l'ouvrage, celui d'avoir passé un sacré bon moment avec ce très sympathique Tony, ses amis et d'avoir lu une belle et intéressante histoire. Si c'était un plat, ce livre serait un dessert, frais, léger mais au caractère et aux saveurs marqués. Une vraie trouvaille originale, j'ai hâte de retrouver ce petit monde dans de nouvelles aventures.

Suite de la chronique et musique du livre sur Quatre Sans Quatre (http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-l-etrange-histoire-de-l-ours-brun-abattu-dans-les-quartiers-espagnols-de-naples-de-antonio-menna-1425551021 )


3 mars 2015

Maltraitance et conséquences...

Il fallait oser mettre un flic prénommé Chrétien dans le psychodrame réactionnaire qui a suivi l'adoption la loi relative au mariage pour tous ! Il fallait également avoir le bon angle et Catherine Bessonart l'a superbement trouvé. Son Chrétien athée, humaniste, flic classique, bourru, mais versé dans la psychanalyse et très cultivé, est le personnage qu'il fallait au polar pour s'approprier ce peu glorieux épisode de notre société. L'énigme est suffisamment riche pour laisser à l'auteur la place de dire son agacement et mettre son héros dans les situations qui ont fait naître cet agacement.

Un récit fort habilement mené, des vérités simples énoncées mais, avant tout, un formidable polar qui guidera les pas de Bompard sur tous les points chauds de l'intolérance. Une écriture vive, pleine de trouvailles, cultivée, qui nous fait revisiter le Paris des cabarets et de la chanson française et se bat intelligemment pour plus de tolérance et de bienveillance. Il y a du Maigret dans Bompard, celui à qui Simenon faisait dire qu'il était « réparateur de destin »

Rien n'est simple ni évident dans cette histoire profuse qui touche à des questions profondes, difficiles, sans rien survoler mais sérieusement, avec des personnages complexes, vivants, crédibles. Un régal ! J'avais déjà beaucoup aimé Et si Notre-Dame la nuit..., le premier volet des aventures de ce flic un peu à part, là, il prend encore une autre dimension et entre de plain-pied dans la cour des grands du polar français. Le suspense ne se termine pas avec l'enquête, le livre se clôt sur une situation qui va nous mettre en haleine jusqu'à la parution du prochain, une fin à la Jo Nesbo, et c'est un vrai grand compliment...

Suite de la chronique et musique du livre sur Quatre Sans Quatre http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-une-valse-pour-rien-de-catherine-bessonart-1424427497

L'interview de Catherine Bessonart dans Des Polars et des Notes http://quatresansquatre.com/article/radio-des-polars-et-des-notes-8-1425300381




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