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5 septembre 2022

Incandescent

C’est comme le soc de la charrue qui fend la terre en deux, cette terre qui n’a jamais été ouverte aux graines et aux semences, cette terre ingrate d’Algérie que viennent travailler des colons de France encouragés par leur gouvernement dans les années 1840. A droite du sillon, ces colons : « Vous êtes la force, l’intelligence, le sang neuf et bouillonnant dont la France a besoin sur ces terres de barbarie ».
A gauche, derrière le soc, des soldats venus « pacifier » les barbares, apporter la civilisation au bout de leurs fusils.
L’écriture de Mathieu Belizi est comme cette charrue, elle divise l’histoire en deux. Celle de Séraphine, femme colon qui arrive avec sa famille, son mari, ses enfants. Et puis celle d’un soldat ordinaire, non gradé, qui apporte sa violence comme un bienfait civilisateur.
Des deux narrateurs, on ne sait rien de leur passé, de leurs histoires qui les amènent sur le sol algérien. Pour les colons, il faut affronter le sursaut de la nature et de ses épidémies comme le choléra, il faut se protéger de ces inconnus qui massacrent femmes et hommes quand ils s’éloignent des camps de toile. Pour les soldats il faut tuer et tuer encore pour prendre possession des villages, accaparer les provisions, violer les femmes et trancher les têtes des rebelles.

Le récit est grave, il nous emmène dans l’effroi. Nous sommes au XIXe siècle mais nous avons le sentiment pareillement de rentrer dans les rues d’Oradour sur Glane, de fracasser les portes de la Casbah d’Alger un siècle plus tard. Peu de ponctuation, comme pour rendre plus fluide la parole et rendre encore moins exceptionnelle cette violence banale qui ne mérite pas de majuscules ou d’effets de style. Seuls dans leurs souffrances Séraphine et le soldat anonyme ne se rencontreront pas, chacun restera cloîtré dans sa condition de civilisateur amenés là presque à leur insu, pour satisfaire les besoins de puissance d’une nation. Pions sur un échiquier, on les déplace à leur insu, les faisant porteurs d’une félicité et d’un bonheur impossibles.
Grand est ce texte impitoyable.



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