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17 août 2023

Du grand art

Avec Jean-Baptiste Andrea tout commence par la fin, ou tout semble commencer par la fin. Une machine à remonter le temps. Dans son magnifique précédent roman « Des diables et des saints », un homme joue du piano dans les gares. Son histoire a commencé cinquante ans plus tôt dans un orphelinat de montagne. Dans « Veiller sur elle », un homme se meurt, là aussi en haut d’une montagne, dans le Piémont. Son histoire a commencé il y a 82 ans, en 1904. C’est la fin mais lui aussi a une histoire, une histoire extraordinaire à raconter, celle de sa vie. Avant de perdre son dernier souffle il se souvient.

Il pourrait s’appeler Roméo et elle Juliette mais ce serait trop simple. Et un peu cliché. Elle se nomme Viola. Elle est une fille Orsini, la famille noble du village sur le plateau de Pietra d’Alba. Lui, qui est alors jeune et bien vivant, a pour prénom, Mimo. Mimo Vitaliani.

« Ce sera toujours toi et moi, Mimo et Viola. Mimo qui sculpte, et Viola qui vole »

Viola, vole ou essaie de voler. De voler dans les airs comme de voler de ses propres ailes dans une société où il est difficile d’être femme. Surdouée, elle appréhende le monde à l’aune de ses connaissances exceptionnelles acquises dans les livres. Indépendante, fière, elle rêve d’un siècle nouveau où les femmes auraient leur juste place.

Mimo sculpte. Fils d’un sculpteur en France, il va exercer son métier, qui deviendra son art en Italie, rejetant le nom de Francese et de ses origines. C’est son histoire qu’il nous raconte sur son lit de mort, une existence qui va le mener d’un oncle alcoolique, censé être son tuteur, à des ateliers à Florence ou à Rome, sans oublier le passage par un cirque. Elle se mêle à l’histoire de l’Italie, et à la montée du fascisme. On oublie pourtant, souvent le contexte de l’époque pour lire une histoire plus ancienne, celle de la Renaissance italienne et de la fin du XVI ème siècle tant le périple de Mimo nous renvoie aux frasques du Caravage dans les bouges romains ou florentins. On voyage dans les ateliers dans lesquels rien ne semble avoir changé depuis des siècles et il faut l’évocation des chemises brunes pour comprendre que le temps a effectivement passé.

C’est qu’il est question d’art, de tableaux de Fra Angelico, ou de sculptures de Michel Ange. De chefs d’œuvre aussi, ces statues qui font pleurer, rire, qui rendent malades ou heureux parce qu’elles possèdent un secret, celui du génie de leur créateur. La sculpture ultime de Mimo est tellement exceptionnelle qu’elle doit être protégée, mise à l’écart du monde car potentiellement dangereuse. Le sujet est pourtant classique, sans crime apparent: une Pietà, cette représentation de Marie tenant son fils Jésus-Christ sur ses genoux. Une mère aimante et son fils mort. Rien de plus. Rien de moins.

Avec ce voyage dans le temps de près d’un siècle dans l’Italie en convulsions, Jean-Baptiste Andrea écrit un roman ample, gigantesque, généreux, entre deux guerres, entre deux mondes, celui des humbles, celui des riches. Deux mondes appelés à ne pas se rencontrer mais que Mino et Viola vont réunir, en tentant de s’apprivoiser l’un et l’autre. Fresque historique, roman d’amour, « Veiller sur elle » est aussi un hymne magnifique à la création. La beauté est là dans le bloc de marbre. La sculpture existe déjà, l’artiste a un seul devoir: l’extraire de la pierre, la ressortir en y touchant le moins possible, comme l’écrivain doit laisser la plume glisser sur le papier, le plus simplement du monde. Pour laisser la poésie des mots pénétrer les interstices d'un récit initiatique aux multiples facettes.

Jean-Baptiste Andrea nous a emmené avec lui, accompagné des thèmes qui lui sont chers et commencent à former une oeuvre: religion et clergé, montagnes et paysages, poésie des lieux et vilenie des hommes. Et le Secret, celui qu’un musicien de gare avait en lui, celui que Mino à dissimuler dans sa Pietà. Secret d’un chef d’oeuvre ou secret d’une vie? Allez savoir.



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