Il y avait l’imaginaire doucereux de l’onirisme baroque, stipulant que le monde est un songe, auquel une rationalité arrogante a voulu opposer un réalisme têtu : la fiction est une chose, la réalité en est une autre. Renvoyant dos à dos le baroquisme rêveur et le réalisme sec, Nietzsche fait valoir la convertibilité réciproque du rêve et de la veille, de l’imaginaire et du réel, de la fiction et du vécu. En examinant l’étoffe dont le monde est fait, le philosophe allemand nous montre comment la réalité et l’imaginaire s’entretissent. Et si le rêve n’était que l’archive des veillées anciennes ? Cela ne voudrait-il pas dire que ce que nous appelons aujourd’hui « réalité » apparaîtra à l’avenir comme une manière d’avoir rêvé le monde ? Pourtant, entre les différentes moutures du monde ne cesserait de percer et de repercer un air de famille opiniâtre. Ainsi, loin de se contempler narcissiquement dans un monde taillé à son image, l’imaginaire humain ne cesserait de rêver le monde à partir de l’amour qu’il porte à cette altérité si étrangement familière, celle du visage fraternel.
Arnaud Sorosina, docteur et agrégé de philosophie, enseigne en classes préparatoires littéraires au lycée Mounier (Grenoble). Ses travaux portent sur Nietzsche et sur la philosophie au XIXe siècle. Il a notamment publié, aux éditions Classiques Garnier, Le scorpion de l’histoire (2020), dirigé un volume collectif aux éditions de la Sorbonne : Les historicités de Nietzsche, avec B. Binoche (2018). Chez Manucius, il a réédité certains passages de l’œuvre nietzschéenne et publié deux monographies (Du régime philosophique. Nietzsche diététicien, 2019 ; La force de vivre. Nietzsche et l’écriture du gai savoir, 2020).
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